Accuser faussement les parents de
maltraitance envers son bébé ou son enfant est certainement l’une des pires
conséquences de l’absence de diagnostic d’une maladie rare – mise à part une
mort qui aurait pu être évitée. L’émission de télévision Enquête de
Radio-Canada raconte une telle histoire d’horreur devenue réalité pour des
parents du Québec (« Présumés coupables », 21 novembre 2013).
Il est connu que des signes ou symptômes
de certaines maladies rares peuvent être confondus au premier abord avec des
signes de mauvais traitements. Certaines maladies pour lesquelles cette
confusion a été rapportée ou documentée dans la littérature médicale
sont : l’ostéogenèse imparfaite (maladie des os de verre), le syndrome
d’Ehlers-Danlos, des problèmes de coagulation, la déficience en vitamine D
(rachitisme) et même la maladie de Crohn qui a déjà été confondue avec de
l’abus sexuel. Heureusement, dans la grande majorité de ces cas, avec une
équipe de médecins bien avisée et la consultation d’experts, la confusion est
dissipée assez rapidement au grand soulagement des parents.
La maladie des os de verre (l’ostéogenèse imparfaite) est la maladie qui
a été le plus souvent confondue avec de la maltraitance dans le passé étant
donné que les signes principaux sont les fractures osseuses. Cependant, en
2013, il est surprenant qu’il soit difficile d’éliminer cette hypothèse lorsque
plusieurs fractures sont observées chez un bébé. En effet, cette maladie est plus connue aujourd’hui
(même dans la population générale), on a amassé beaucoup de nouvelles
connaissances sur celle-ci, et enfin, étant donné la médiatisation et les
publications médicales concernant les cas de fausses accusations de
maltraitance, les médecins et les autorités sont beaucoup plus informés à ce
sujet (habituellement, l’ostéogenèse imparfaite est incluse dans la liste de
facteurs à éliminer dans des cas d’abus signalés à tout organisme de protection
d’enfants). Les examens radiologiques, les tests biochimiques et les analyses
génétiques peuvent habituellement confirmer le diagnostic de l’ostéogenèse
imparfaite. Cependant, cette maladie est en fait un ensemble de maladies
osseuses avec des similitudes et des différences. Il y a des formes rares de
cette maladie déjà rare en soi (d’ailleurs, l’un des bébés dont on raconte l’histoire
dans le reportage s’est avéré atteint du syndrome de Bruck, une forme d’ostéogenèse
imparfaite congénitale). Un seul test génétique ne suffit pas toujours et il
serait normal que le médecin au service de la Direction de la protection de la
jeunesse (DPJ) pense à consulter un expert pour en faire le diagnostic (par
exemple, un médecin généticien ou un spécialiste des maladies osseuses). Ce qui
est ironique dans le cas présenté à l’émission Enquête est que l’un des centres
mondiaux d’expertise de l’ostéogenèse imparfaite est à Montréal (Hôpital
Shriners)!
Pour ce qui est du syndrome d’Ehlers-Danlos (SED), malheureusement,
cette maladie est souvent oubliée dans le diagnostic différentiel de la
maltraitance. Pourtant, plusieurs cas
ont été rapportés dans la littérature médicale et presque tous les médecins
spécialistes de ce syndrome ont été confrontés à des cas de suspicion de
maltraitance avérés non fondés. Les signes ou symptômes du syndrome d’Ehlers-Danlos,
qui pourraient être confondus avec des signes de sévices, sont : ecchymoses, hémorragies, luxations,
dislocations, et quelques fois des fractures, etc. Le Dr Claude Hamonet,
spécialiste de médecine physique et du syndrome d’Ehlers-Danlos, a rapporté que
le Syndrome des enfants battus a été évoqué comme premier diagnostic dans 20
sur 135 (15 %) de ses jeunes patients atteints du SED.
« Je suis régulièrement
confronté à de fausses accusations de maltraitances dans le SED. Le plus
souvent pour ecchymoses. Il y a une ostéopénie dans le SED et quelques
fractures rares. »
« Le Syndrome des enfants battus
(ou des femmes battues) pourrait être évoqué, à tort, devant un jeune enfant
avec des luxations articulaires ou surtout des ecchymoses et hématomes
multiples. Les conséquences, pour les parents, ou le conjoint, peuvent être
lourdes. Nous avons rencontré le cas d’une mise en examen et aussi celui d’une
dénonciation abusive par un médecin psychiatre au Procureur de la République,
suivie de deux ans de surveillance familiale dans la suspicion. »
(Dr Claude Hamonet, clinique du
syndrome Ehlers-Danlos, Hôpital Hôtel-Dieu, Paris, France; communication personnelle et citation sur site web du Dr Hamonet )
Voir un cas vécu qui a été médiatisé récemment aux États-Unis: « Rare bone disease causes Woodlands dad to be falsely charged with child abuse ».
Le syndrome d’Ehlers-Danlos est
plus fréquent dans la population que l’ostéogenèse imparfaite. Pourquoi les
médecins ne pensent-ils pas alors que ce syndrome puisse être la cause des
« blessures » dans certains cas de supposées maltraitances où il y
aurait peut-être lieu de penser à une maladie? Parce que – comme de nombreuses
maladies rares - cette maladie est inconnue ou mal connue d’une majorité des
professionnels de la santé (voir billets précédents de ce blogue).
De plus, il y a plusieurs formes de SED (dont l’une qui a des caractéristiques de
l’ostéogenèse imparfaite), il peut y avoir des présentations anormales de la
maladie et d’autres facteurs qui interviennent pour l’exacerber. Encore une
fois, des experts devraient être consultés et des expertises médicales plus
poussées devraient être effectuées avant de conclure à la maltraitance. D’autant
plus que le SED est une maladie héréditaire dominante et que, dans la majorité
des cas, l’un des parents a des signes du syndrome.
Comme l’ostéogenèse imparfaite,
le syndrome d’Ehlers-Danlos devrait être sur la liste de la DPJ comme maladie pouvant « imiter » la
maltraitance. Il en va de la présomption d’innocence des parents, d’une défense
pleine et entière de leur cause, d’une justice bien rendue, mais surtout des conséquences
désastreuses du retrait d’un enfant de sa famille naturelle pour des raisons
non justifiées.
Information
additionnelle :
- Une liste de maladies pouvant
être confondues avec de mauvais traitements :
Medical conditions that can mimic abuse
Bruises
|
Hemophilia
Leukemia Postinfectious vasculitides Idiopathic thrombocytopenic purpura Melanocytic nevus Cupping Coining |
Breaks
|
Osteogenesis imperfecta
Vitamin D deficiency (rickets) Vitamin C deficiency (scurvy) Chronic kidney disease Toddler fractures |
Bonks
|
Bleeding diatheses
Glutamic aciduria Vitamin K deficiency Birth trauma |
Burns
|
Stevens-Johnson
syndrome
Staphylococcal scalded skin syndrome Kawasaki disease |
(référence :
Emergency Department
Evaluation of Child Abuse, Aaron N. Leetch, Dale Woolridge, Emerg Med Clin N Am 31 (2013) 853–873)
- Article de revue sur le syndrome Ehlers-Danlos : Le syndrome d’Ehlers-Danlos, ça existe
- Article de revue sur le syndrome Ehlers-Danlos : Le syndrome d’Ehlers-Danlos, ça existe
- Références
sur le syndrome d’Ehlers-Danlos et la maltraitance :
1. Hemorrhages
after minor trauma. Haddad HM. Ophthalmology. 112(4):737-8, 2005 Apr.
[Comment. Letter]
2. The
mistaken diagnosis of child abuse: a three-year USAF Medical Center analysis
and literature review. Wardinsky TD, Vizcarrondo FE, Cruz
BK. Nurs Times. 1987 Sep 2-8;83(35):36-7.
3.
Not a case of abuse. Miller
J. Br J Dermatol. 1984 Sep;111(3):341-5.
4.
Ehlers-Danlos syndrome type IV mimicking
non-accidental injury in a child. Roberts DL, Pope FM, Nicholls
AC, Narcisi P. Arch Dermatol. 1984 Jan;120(1):97-101.
5. Ehlers-Danlos
syndrome simulating child abuse. Owen SM, Durst RD Arch Dermatol 1984
Jan; 120(1) :97-101.
6.
Tijdschr
Kindergeneeskd.Tijdschr Kindergeneeskd. 1984 Aug;52(4):152-5. [Bruising:
a coagulation disorder, abuse or abnormality of the vessel wall?]. Van Oostrom CG, Werkman HP, Fiselier
TJ.
- Autres maladies rapportées dans
la littérature médicale pouvant imiter des sévices chez l’enfant : syndrome
de Gardner-Diamond, syndrome de Caffey, syphilis congénitale, infections ou
maladies urogénitales, syndrome phagocytaire, hydrocéphalie externe bénigne,
etc.