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Gail Ouellette, Ph.D. CGAC, Généticienne/conseillère en génétique, Regroupement québécois des maladies orphelines Québec, Canada http://www.linkedin.com/profile/view?id=108787930&trk=hb_tab_pro_top Site web: www.rqmo.org Voir notre page Facebook

samedi 23 mars 2013

Lorsqu'on sème encore plus la confusion par rapport aux définitions de maladies génétiques, héréditaires et congénitales....

Sur le site web de Canal Vie, dans la section santé, l’article suivant a été publié :
« Les maladies héréditaires, génétiques et congénitales, comment s’y retrouver? ». http://www.canalvie.com/sante/articles/les-maladies-hereditaires-genetiques-et-congenitales-comment-s-y-retrouver-18841//

Malheureusement, cet article qui a été partagé par plusieurs sur Facebook, ne permet pas de s’y retrouver, car la personne qui a écrit l’article ne semble pas avoir compris la différence entre maladies génétiques et maladies héréditaires. L’intention était bonne, mais avec tout notre respect, il faut s’y connaître un peu pour pouvoir vulgariser correctement ce sujet. Ici, nous voulons corriger et clarifier le contenu de cet article.
Maladies héréditaires vs maladies génétiques
L’auteur a séparé les maladies héréditaires et les maladies génétiques comme si elles étaient deux catégories distinctes, alors que les maladies héréditaires sont une sous-catégorie des maladies génétiques. Donc, commençons par le début : les maladies génétiques sont des maladies causées par des changements dans le matériel génétique que l’on appelle « mutations ». Ces mutations peuvent se produire au niveau des chromosomes ou des gènes. Lorsque ces mutations sont présentes dans toutes les cellules du corps, incluant les cellules reproductrices (gamètes), ces maladies génétiques peuvent être transmises des parents à leurs enfants. Dans ce cas, elles sont héréditaires.
Ainsi, toutes les maladies héréditaires sont des maladies génétiques, mais pas toutes les maladies génétiques ne sont héréditaires. En effet, prenons par exemple, la grande majorité des cancers. Ceux-ci sont dus à l’accumulation au cours des années de mutations génétiques dans les cellules somatiques (toutes cellules autres que les cellules reproductrices) et il peut y avoir développement d’un cancer dans un organe. Donc, les cancers les plus fréquents sont des maladies génétiques, mais ils ne sont pas héréditaires. Cependant, un faible pourcentage de cancers est héréditaire, car ils sont dus à des mutations présentes dans les gamètes, qui peuvent être transmises à l’autre génération et prédisposer au cancer (par exemple, la prédisposition au cancer héréditaire du sein et de l’ovaire causée par des mutations dans les gènes BRAC1 ou BRCA2).
Exemples de maladies héréditaires
Prenons cette phrase tirée de la section « maladies héréditaires » de l’article : « Il existe plus de 1000 maladies héréditaires, dont la surdité, la rétinite pigmentaire, l'épilepsie et l'Alzheimer, pour ne nommer que celles-là. »
En fait, à ce jour, on répertorie près de 7 000 maladies héréditaires. La majorité de ces 7 000 maladies héréditaires est due à des mutations dans un seul de nos 22 000 gènes (des maladies dites monogéniques à transmission héréditaire mendélienne, c’est-à-dire qui ont une transmission héréditaire claire, soit dominante ou récessive et liée ou non au sexe). La probabilité que ces maladies soient transmises par des parents à leur progéniture est de 25 % ou de 50 % en fonction du mode de transmission.

Passons en revue les maladies que l’auteur donne en exemple comme maladies héréditaires. La surdité et l’épilepsie : environ la moitié des cas de ces maladies est héréditaire, l’autre moitié n’est pas héréditaire. Il y a plusieurs formes de rétinite pigmentaire qui sont généralement héréditaires.
L’auteur mentionne les maladies mentales (schizophrénie et psychose maniaco-dépressive) et la maladie d’Alzheimer dans la catégorie des maladies héréditaires. Ce ne sont pas des maladies héréditaires proprement dites, mais des maladies complexes multifactorielles. Elles sont dues à plusieurs causes, incluant plusieurs gènes et des facteurs environnementaux. Donc, il est possible que plusieurs membres d’une même famille soient atteints, mais il n’y a pas de transmission héréditaire simple et facile à prédire. On parle de gènes de susceptibilité dans ces familles, mais l’environnement joue également un rôle dans l’apparition de la maladie. Pour ce qui est de la maladie d’Alzheimer, moins de 1 % des cas sont réellement héréditaires (une forme qui est appelée « présénile » et qui apparaît à un plus jeune âge que la forme courante).
Exemples de maladies génétiques
Maintenant, prenons cette phrase tirée de la section « maladies génétiques » de l’article : « Parmi les maladies génétiques, notons la Trisomie 21, la myopathie de Duchenne, la mucoviscidose, le syndrome de Lesch-Nyhan, le diabète insulinodépendant et l'intolérance au fructose et au lactose, pour ne nommer que celles-là. »
Dans ce cas-ci, l’auteur aurait dû placer la myopathie de Duchenne (aussi nommée dystrophie musculaire de Duchenne), la mucoviscidose (aussi nommée fibrose kystique) et le syndrome de Lesch-Nyhan dans les maladies héréditaires. En effet, elles ne sont pas seulement des maladies génétiques, mais elles sont clairement héréditaires.

Pour ce qui est de la trisomie 21 (ou syndrome de Down), la grande majorité (95 %) des enfants atteints de trisomie 21 ont trois chromosomes 21 libres au lieu de deux comme la majorité des gens. C’est le résultat – comme l’auteur le dit – « d'une « erreur » dans le processus de formation des cellules sexuelles », donc non due à l’hérédité. Par contre, ce qui est rarement dit, c’est qu’environ 2 % des enfants atteints du syndrome de Down, le sont parce que l’un de leurs parents portait une anomalie chromosomique, qui lorsque transmise, pouvait causer ce syndrome.
Le diabète insulinodépendant (diabète de type 1 qui peut se développer durant l’enfance) est aussi une maladie complexe multifactorielle comme on l’a décrit ci-haut, avec l’apport de certains facteurs génétiques ainsi que des facteurs immunitaires. Et, un fait à noter : si vous avez un frère ou une sœur qui est atteint de l’autre forme du diabète qui est beaucoup plus fréquente dans la population, le diabète de type 2 (non insulinodépendant), votre risque de la développer vous-même est d’environ 15 fois plus élevée que si votre frère/sœur avait le diabète insulinodépendant type 1. Enfin pour ce qui est de l’intolérance au fructose et au lactose, de rares formes héréditaires existent.
Maladies congénitales
L’auteur donne la bonne définition des maladies congénitales : « une malformation présente dès la naissance », quoique ça ne se limite pas aux malformations; cela peut être une maladie, une anomalie ou une caractéristique physique ou mentale quelconque. Cependant, lorsqu’il affirme : « Toutefois, les facteurs héréditaires ou génétiques peuvent aussi entraîner des maladies congénitales. Elles peuvent être identifiées avant l'accouchement. » Non, elles ne peuvent pas toutes être identifiées avant l’accouchement. Nombre de maladies génétiques et héréditaires qui sont présentes chez le bébé à la naissance ne peuvent être détectées avant la naissance de l’enfant que ce soit par l’échographie ou par des tests génétiques.
 
Pour ce qui est de la liste de causes possibles de conditions congénitales, il en manque une catégorie importante : les infections. En effet, des maladies comme la rubéole, une infection au streptocoque B, au cytomégalovirus, etc., contractées durant la grossesse peuvent causer des malformations chez le bébé. On pourrait aussi ajouter des expositions à des produits toxiques en milieu de travail.

Aussi, plusieurs malformations congénitales ont des causes multifactorielles (gènes + environnement) comme le spina bifida, les malformations cardiaques congénitales, le pied bot, la dysplasie de la hanche, la fente labiale (bec de lièvre), etc. D’ailleurs, le risque de spina bifida peut être réduit si la femme prend de l’acide folique avant et pendant la grossesse.
Enfin, l’auteur indique que l’âge de la mère lors de la grossesse est l’une des causes de conditions congénitales. En effet, il est bien connu que le risque de trisomie 21 augmente avec l’âge de la mère. Ce qui est moins connu est que dans environ 10% des cas, ce sont les chromosomes 21 du père qui sont en cause et non ceux de la mère. Aussi, pour certaines maladies génétiques, l’âge paternel avancé est associé à une plus grande probabilité d’apparition de la maladie chez le bébé, par exemple, pour l’achondroplasie (la forme la plus courante de nanisme), la neurofibromatose et la maladie de Marfan. Il faudrait donc ajouter l’âge du père à la conception dans la liste des causes possibles pour les maladies congénitales.
Note : les 6 ou 7 points d’information (avec des tirets) que l’auteur met dans chacune des deux sections, maladies héréditaires et maladies génétiques, ne s’appliquent pas exclusivement à l’une ou l’autre catégorie, donc ne pas s’y fier.

Résumé
  • Les maladies héréditaires sont toutes génétiques.
  • Les maladies génétiques ne sont pas toutes héréditaires.
  • Il y a près de 7 000 maladies à transmission manifestement héréditaire pour lesquelles la probabilité de transmission est connue (25 % ou 50 % dépendant du mode de transmission).
  • Nombre de maladies communes sont des maladies complexes et multifactorielles. Elles sont dues à des facteurs génétiques (polygéniques, c’est-à-dire plusieurs gènes) et à des facteurs environnementaux (ex., cancers, diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, malformations congénitales, etc.). Plusieurs membres d’une même famille peuvent être atteints de ces maladies, mais la probabilité d’apparition ne peut être prédite exactement et est plus faible que les 25 % ou 50 % des maladies héréditaires monogéniques.
  • Certaines maladies communes comportent des formes plus rares qui sont héréditaires (par exemple, cancer du sein héréditaire, cancer du côlon héréditaire, maladie d’Alzheimer héréditaire à survenue précoce, hypercholestérolémie familiale).
  • Les maladies congénitales sont toutes maladies ou conditions qui sont présentes à la naissance. Leurs causes sont nombreuses (infections, exposition à des produits toxiques durant la grossesse, âge de la mère et du père, maladie ou carence durant la grossesse, etc.) et incluent des causes génétiques. Certaines maladies congénitales sont héréditaires.
Gail Ouellette, Ph.D., CAGC, conseillère en génétique agréée
Mars 2013
 

 

 

 

 

jeudi 21 mars 2013

Est-ce que l'incidence de la trisomie 21 diminue et en même temps....la tolérance face à ce syndrome?


Dans les textes médicaux, il est indiqué que l’incidence de la trisomie 21 est d’une naissance sur 800 naissances vivantes, donc cette condition n’est pas considérée comme une condition rare selon la définition d’une maladie rare. Cependant, on sait qu’avec les tests de dépistage disponibles depuis quelques années, l’incidence diminue et avec cela, peut-être... la tolérance face à ce syndrome?
 
Dans un article intitulé Le syndrome « pas dans mon ventre » et publié dans Le Devoir, le 3 décembre 2012, Mme Anouk Lanouette Turgeon, qui a décidé avec son conjoint de garder son bébé atteint de la trisomie 21, a déploré le manque de partialité de certains professionnels de la santé lors de la transmission d’informations sur ce syndrome.
 
Cette mère ne nous a pas rapporté les expériences qu’elle a vécues après la naissance de son enfant. Mais si elles sont semblables à celles qui me sont rapportées par d’autres mères d’un enfant trisomique, alors on doit constater que la partialité et le jugement ne s’arrêtent pas après la naissance de l’enfant. Trois exemples : une mère de plus de 35 ans donne naissance à son nième enfant en toute connaissance de cause des risques liés à son âge et sereine dans sa décision de laisser la nature suivre son cours. Dès le lendemain de la naissance de son enfant trisomique et alors qu’il était apparent que le couple n’était pas en détresse, on lui rappelle qu’elle aurait pu se prévaloir de tests pour « savoir ». Une autre mère raconte la situation ironique lorsqu’elle va à des rendez-vous médicaux avec son jeune enfant trisomique : d’un côté, tout en lui dispensant les meilleurs soins et services, on s’extasie devant son enfant trisomique si joli et extraordinaire et d’un autre côté, on questionne la mère sur le fait qu’elle a « choisi » d’avoir cet enfant. Enfin, troisième exemple : une jeune mère ayant un enfant trisomique ressent le jugement de son entourage, alors que les tests de dépistage ne lui étaient même pas accessibles.
 
D’abord, les questionnements ou commentaires désapprobateurs après le fait sont inutiles. Ils ne sont que porteurs de jugement et engendrent un sentiment de culpabilité chez la mère. Tout le contraire de l’acceptation de l’enfant « différent ». Deuxièmement, souvent ces remarques ne sont pas pertinentes. En effet, on tient pour acquis qu’un choix fût possible pour tous. D'abord, le Programme québécois de dépistage prénatal de la trisomie 21 a débuté récemment au Québec (juin 2010). Auparavant, il fallait payer pour ces tests. De plus, le Programme ne fut pas implanté dans toutes les régions du Québec en même temps (les dernières régions ont été desservies à partir du printemps 2012). Enfin, les tests de dépistage ne détectent pas tous les bébés trisomiques, sinon le simple prélèvement sanguin remplacerait l’amniocentèse en tant que test diagnostique.
Troisièmement, ces remarques constituent une opinion personnelle. En effet, le principe directeur du Programme de dépistage prénatal est le « consentement libre et éclairé » (voir l’extrait ci-dessous des documents du Programme québécois). Selon ce principe, ces tests devraient être offerts sur une base volontaire et l’on doit donner toute l’information nécessaire et non biaisée pour permettre à la femme enceinte ou au couple de choisir ou non de subir le test de dépistage, de choisir ou non l’amniocentèse dans le cas d’un résultat de dépistage positif et enfin, de continuer ou non la grossesse advenant que le bébé soit atteint de la trisomie 21. Donc, même si environ 90 % des couples québécois choisissent de ne pas continuer la grossesse lorsqu’ils apprennent que le bébé est atteint de la trisomie 21, leur choix – qui est personnel – n’est pas plus valable que celui des 10 % qui choisissent de garder l’enfant. Dès le début du processus, chaque femme, chaque couple a le droit de choisir selon sa situation, ses valeurs et ses croyances. Ensuite, le personnel médical doit respecter la décision du couple et les soutenir. Une personne qui met en doute cette décision le fait aussi selon sa situation et ses valeurs personnelles.
 
Évidemment, on peut apposer ce principe à la situation contraire : pourquoi juger un couple qui a décidé d’interrompre une grossesse? L’option est là, mais ce n’est pas une décision banale et elle est habituellement accompagnée d’une grande charge émotive. Il est trop facile de conclure comment l’on réagirait et ce que l’on ferait sans vivre une telle situation soi-même. De plus, les parents qui choisissent de ne pas avoir un enfant trisomique ne sont pas obligatoirement des personnes qui portent un regard discriminatoire envers les personnes handicapées.
Un argument que l’on entend quelques fois est la « pression » que le choix d’avoir un enfant trisomique met sur le système de santé. Il faudrait relativiser ce faible nombre d’enfants trisomiques vs le grand nombre d’individus atteints de maladies communes qui pourraient aussi être prévenues par un choix, celui de meilleures habitudes de vie. Et, pour mettre les choses en perspective, la grande majorité des bébés nés aujourd’hui au Québec avec des syndromes génétiques, sont des occurrences imprévisibles tant pour les professionnels de la santé que pour les parents.
 
Les tests sont là. Un retour en arrière serait surprenant. Il s’agit maintenant de les offrir dans le respect des choix des individus tant au cours de la grossesse qu’après la naissance ou non d’un enfant trisomique. Une femme enceinte qui est ambivalente face aux options qui se présentent à elle devrait pouvoir obtenir toute l’information nécessaire pour l’éclairer. Par exemple, dans les documents du Programme, on suggère de donner accès aux femmes enceintes et couples à des ressources, telles des associations de parents, si ceux-ci veulent en savoir plus sur la vie avec un enfant qui a la trisomie 21. De même, ils devraient avoir accès à toute information pertinente concernant les procédures tels l’amniocentèse et l’avortement thérapeutique. Enfin, le Programme suggère aussi de les diriger vers un service de génétique où ils pourront rencontrer un professionnel du conseil génétique (médecin généticien ou conseillère en génétique).
Gail Ouellette, Ph.D., CGAC, conseillère en génétique agréée
Directrice, Regroupement québécois des maladies orphelines
Mars 2013
-       Article: Le syndrome "pas dans mon ventre"





Extrait d’une formation offerte aux professionnels de la santé par le Programme québécois de dépistage prénatal de la trisomie 21(http://www.msss.gouv.qc.ca/sujets/santepub/depistage-prenatal/professionnels/index.php?ethique-et-consentement)
 Consentement libre et éclairé au Programme
Le Programme a comme principe directeur que le consentement des femmes enceintes et couples soit libre et éclairé. Certains éléments sont importants à considérer dans le processus d’offre du dépistage prénatal de la trisomie 21 pour permettre un consentement libre et éclairé :
- S’assurer que le test de dépistage est offert sur une base volontaire et qu’il n’est pas prescrit de manière systématique.
- S’assurer que toutes les informations nécessaires à la prise de décision ont été transmises.
- Comprendre que la décision de passer ou non le test de dépistage prénatal de même que celle de poursuivre ou non une grossesse à la suite de l’annonce d’un diagnostic de trisomie 21 appartiennent entièrement aux femmes enceintes et aux couples.
- Prendre le temps de discuter avec les femmes enceintes et les couples des implications et des options ainsi qu’explorer avec eux les facteurs qui jouent un rôle dans la décision d’y participer ou non.
- Transmettre l’information d’une manière non directive, c’est-à-dire en aidant les femmes enceintes et couples à prendre la meilleure décision pour eux-mêmes et leur famille, d’après leur propre point de vue et leurs valeurs.
- S’assurer que les femmes enceintes et les couples ont reçu le dépliant d’information sur le Programme produit par le ministère de la Santé et des Services sociaux.
- Donner accès aux femmes enceintes et couples à des ressources (associations de parents, services de génétique, etc.) si ceux-ci veulent en savoir plus sur la vie avec un enfant qui a la trisomie 21.
- Offrir aux femmes enceintes et couples la possibilité de réfléchir avant de prendre leur décision et les soutenir dans cette décision, quelle qu’elle soit.